Ramer en compétition a été une succession d’entraînements, courses. Quand je regarde en arrière, un souvenir récurrent et doux me vient avec le Lac de l’Uby, à Cazaubon, ce petit village du Sud de la France qui accueille depuis 20 ans peut être le Championnat de France Bateaux Courts, Test National pour l’Equipe de France. Je me souviens toujours si clairement, si fortement marchant du parking à voitures vers le petit bois, prés du Lac de l’Uby, dans l’obscurité d’un matin de printemps.
Tout est calme
Je peux apercevoir quelques reflets venant du lac au pied du bois et quelques ombres autour des bateaux, sous les arbres. Le vent de la veille est tombé. Seulement quelques cliquetis proviennent des bateaux, avirons et outils pour les ajustements avant la finale.
Tout est endormi
Je suis une des premières sur place. La galanterie féminine est pratique quand la compétition commence à 7h30. Il est 5h, 5h15 et à demi-endormie, je retire la bâche qui couvre le bateau, avec une sorte d’affection pour ce vieil ami. La nuit a apporté un peu d'air frais. Tout est humide, avirons, bateaux, herbe.
En attendant un peu plus de lumière, je commence à étirer mon corps toujours engourdi, des pieds à la tête, debout dans le petit bois, près de mon skiff.
Tout est lent
Je ne veux pas casser cette sensation en portant mes avirons, vers le ponton. Sur le chemin, je croise quelques rameuses, entraineurs. Nous ne parlons pas, juste un signe de tête ou un sourire pour dire bonjour est assez et rester concentrer sur ce qui vient.
Maintenant, je sens le ponton danser souplement, contemplant l’eau et ses couleurs argentées par les premières lueurs du jour.
Je sens cet air spécial, un mélange de fleurs, pollen, herbes, bois humide mais aussi de fibre de carbone et l’odeur de l’eau.
Pas un oiseau, pas encore de bateaux à moteur.
J’aime cet instant, ce sentiment de légèreté, la beauté du lac si paisible et puissant pour moi.
Tout m’attire pour dessiner des ronds dans l’eau et rechercher la glisse parfaite !
De retour dans le bois, une profonde inspiration… et je lève mon bateau pour le porter à l’épaule. Ce skiff est mon copain, mon ami. C’est mon fidele équipier avec qui je partage tant d’heures et qui me donne tant de bons feedback sur ma technique, préparation et condition physique. Je marche fièrement, souriant avec lui sur l’épaule.
Splash !
Je glisse les avirons dans les dames de nage, démarre le stroke-coach, un pied au milieu de ce frêle embarquement et ...pousse au large! Allons-y !
Une grande journée commence pour gagner le titre de Championne de France !
Les 3-5 premiers coups d’aviron sont toujours intéressants pour m’informer de mon niveau de forme. Cependant, à ce moment précis, je m’en moque. Je sais que ce n’est pas la meilleure ramerie que j’obtiendrai presqu’au saut du lit. Mon corps est raide, lourd. J’ai seulement 4 km à ramer, en écoutant mon coup d’aviron, le bateau et le rythme, gardant mes pensées simples, sans stress, et apprécier le plaisir de ramer et la nature.
Le lac est un miroir, enrobé d’un léger brouillard matinal qui étouffe les bruits. Les oiseaux commencent leurs premiers bavardages, progressivement. La lumière lentement progresse, avec un peu de rose et de gris, repoussant au loin la brume, élargissant le lac, ajoutant des arbres d’un côté, une île à la bouée des 500 sur l’autre coté et enfin les bouées de départ, au bout du lac où je tourne.
6 lignes d’eau – 2000 mètres de course
Dans 3 heures je serai là, le bateau tenu par un gamin du village, sous les ordres du starter. Je choisis la ligne d’eau 4, la ligne des gagnants. Mais, à ce moment précis, je ne pense pas encore à la course, intentionnellement.
Je me concentre sur ma technique. Doucement, mon corps gagne en souplesse, flexibilité, le mouvement en précision, coup d’aviron après coup d’aviron. J’ajuste le replacement sur les jambes, la prise d’eau sur l’avant avec la sensation qu’heurter l’eau serait un sacrilège, cassant l’harmonie avec l’eau et qu’assurément, je ralentirais le bateau dans sa lancée ! Comme une équilibriste, je me sens légère entre mes 2 avirons poussant ma frêle embarcation.
Je prends tant de plaisir à écouter la glisse du bateau, la prise d’eau –Plof !- pour ne pas l’interrompre, pousser seulement le skiff un peu plus fort les 10 derniers centimètres avec tout mon corps, jambes, bras, sans précipitation sur le retour, en suivant le rythme du bateau pour, au bon moment, souplement –Plof !- recommencer encore la propulsion, à ramer « économique ». Ramer proprement exige du mental, assurément ! Je grave ceci dans ma tête pour, plus tard pendant la course, répéter le parfait coup d’aviron. Cette concentration m’aide aussi à repousser les parasites intérieurs avant la course. Je sais aussi que plus mon coup d’aviron est bon, plus je suis près de mon pic de forme.
Je localise chaque point de passage stratégique, sur chaque côté, pour éviter de me retourner pendant la course. Maintenant, c’est le décrochement des 250 derniers mètres ou nous passons très près du public et ou parents, amis, clubs, entraîneurs nous encourageront pour les derniers mètres. Je compte les coups restants, 30 exactement depuis le coin, et inconsciemment, je presse un plus fort sur le cale-pied, même si les consignes du coach ne sont pas de le faire. C’est si bon !
Le V, dessiné par les 2000m de bouées, est complet maintenant. Je revois la course, les points stratégiques. Je me sens détendue, calme, puissante. Le soleil brille à présent, les couleurs sont éclatantes, la chaleur, l’animation et les interjections venant du parc à bateaux montent. La magie de ce moment disparaît. Une autre prend place, pour la compétition déjà.
C’est terminé !
Je souris en tournant derrière la tour d’arrivée pour rejoindre le ponton de débarquement. Je souris à ce moment de pur bonheur, en pure intimité avec moi-même.
Corinne Meadmore-Berset (ex-Le Moal) Finaliste olympique 1992 en 1x
Note : Extrait La dénage N°8 publiée en février 2008
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