Henri Hélal, entraineur des équipes de Frances pendant les années 1970, nous raconte le tournage "compliqué" du film "Pour quelques secondes de plus" autour de l'équipage du 4+ français lors des régates de Amsterdam 1972. A une époque où les séquences d'aviron se faisaient encore très rares sur les écrans, ce fut un grand évènement pour l'aviron.
L'équipage "star" du 4+ de l'Equipe de France du film était alors constitué par Fraisse, Grimauld, Valois et Dubois.
Le film sortit sur les écrans en 1973 dans une version 16mm couleur; il est aujourd'hui en ligne sur le web dans sa version noir et blanc : "Pour quelques secondes de plus".
"L'aviron n'intéresse que rarement la télévision. Cette lapalissade était encore plus vraie dans les années 70. Alors en charge de l'équipe de France féminine et de la formation des cadres, je proposais à la fédération la réalisation d'un film sur l'aviron avec le service cinéma de l'INS (devenu aujourd’hui l'INSEP). Le projet accepté, il fallait trouver l'angle d'attaque du film... Après de longues discussions nous décidions avec Henri Garnier, patron du service et Jacques Ribaud, de "montrer" une course dans toute sa réalité, c'est à dire ce que précisément le spectateur ne voyait jamais. Nous comptions agrémenter les images de la course de commentaires et interviews de champions ainsi que d'images disséquant grâce aux ralentis la technique du coup d'aviron. A l'époque, pas de vidéos, des images sublimes du film de Lucien Billard, "Lucerne 62" , mais difficile à exploiter et enfin des chronophotographies que j'avais faites avec mon appareil "robot royal" et diffusés dans les premiers documents de l'entraîneur.
"Les bateaux français participant cette année à la Régate d'Amsterdam, nous décidions de tourner le film lors de cette régate. Pour ceux qui connaissent le Bosbaan, c’était le lieu idéal pour un tel tournage. Etroit, niché dans la verdure, parcouru par deux routes permettant de suivre les courses, d'une accessibilité totale et libre sans omettre ses tribunes roulantes et découvertes. Il nous offrait tous les emplacements parfaits pour nos caméras fixes et mobiles.
"Mais quelle course allait-on tourner ? Le choix se porta sans coup férir sur le 4 avec barreur, "le meilleur bateau de l'armada française", titrait Guy Gaubert jamais avare de superlatif quand il présentait la régate dans l'édition du samedi du quotidien l’Equipe. Arrivée vendredi sur le bassin avec l'équipe de France; les premiers essais sont tournés, les emplacements des caméras repérés, les rôles distribués. Le matin, ultime répétitions pendant les éliminatoires, réglages des caméras et des liaisons par talkie walkies … une vrai gageure. Le scepticisme était dans l'air et les dialogues feutrés...
C'est compliqué votre truc, il n'est pas sûr que cela fonctionne…
Et si les caméras s'arrêtent...
Et s'il pleut demain, et si l'arbitre arrête la course…
"Nous pensions qu'il fallait le faire justement parce que c'était complexe voire impossible et surtout parce que personne n'avait encore filmé une course dans son intégralité. Bref les bateaux se préparent, les caméras tournent déjà, ...le départ est donné....tout baigne, enfin pour le tournage. Hélas après 300 mètres, nous sentons bien que notre 4+ n'est pas "à l'aise". On chuchote entre nous sur la tribune roulante : "faut qu'ils restent devant…"; " ils ne sont pas ensemble sur la fin de coup…"; "ils vont revenir, la course est longue…". A l'approche du 500, notre bateau pilote est en difficulté, et pour tout dire, proprement en train de se faire décrocher. Les caméras embarquées sur les tribunes roulantes, prennent insensiblement de l'avance nous obligeant à filmer un bateau d'abord de trois quart arrière puis quasiment vu de dos... Certes les autres caméras tournaient. Mais ce qui devait constituer le cœur du film, la course, vu à hauteur des premiers, se réduisait comme peau de chagrin. Déjà se posait la question de savoir comment bâtir un film en montrant un bateau se battant tout seul derrière les autres avec, il faut bien le dire, une technique d'ensemble très approximative. Le tournage va jusqu'à son terme, la bateau est loin derrière. Quand l'équipe de tournage se retrouve pour faire le point les visages sont déconfis. Alors on se raccroche, fataliste à des phrases auxquelles on croit peu :
réussite ou échec, cela tient parfois à rien…
quelques secondes sur 2000 m ce n’est pas grand-chose…
on refait la course demain et tout change !
s'ils avaient pris un bon départ...
"Les rushes visionnés au retour nous confirment l'impossibilité de finaliser ce projet. Je ne m’étends pas sur le stress qui fut le mien en pensant à l'investissement consenti : on a tourné 3000m de film 16m/m couleur !!
Alors que nous avions finis par admettre l'échec de ce projet, Jacques Ribaud, réalisateur du film nous sort du gouffre deux semaines plus tard : « J'ai pensé à un autre scénario pour monter le film. Il y a environ 500 mètres de course montrables avec les images travelling des caméras tribunes roulantes, plus tous les plans serrés où on ne voit pas les autres équipes. Ces 500 mètres constitueront le fil rouge, entrecoupé de flashback du chef de nage, qui se remémore tout ce qu'il a fait à l'entraînement : course, ski de fond, musculation, vélos et sorties en skiff et en bateaux long.... Chaque retour en arrière sera annoncé par la même mélodie...Et ainsi on pourra traiter d'autres aspects tels que l'arrivée sur le lieu de la régate, le montage des bateaux, les réglages, le départ et la fin de course. On ne traitera évidemment pas de la technique et pour cause... »
"Les images supplémentaires d'illustration furent donc tournées et Jacques monta le film. Restait à trouver le titre. Une remarque de fin de tournage me revint en mémoire « quelques secondes sur 2000 m c'est pas grand-chose » : en remplaçant « dollars » par « secondes » du dernier western de Sergio Léone, « Pour quelques dollars de plus » , nous tenions notre titre : « Pour quelques secondes de plus ».
Ce film qui s'annonçait bien, qui vira à la catastrophe le temps d'un week-end avant de renaitre de ses cendres grâce à un réalisateur génial, Jacques Ribaud. Il fut présenté au prestigieux festival du film sportif de Turin, et croyez-vous qu'il arriva ??? Il fut primé !!
"Moralité le pire n'est jamais certain."
Henri Hélal
Ex entraineur national
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