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Photo du rédacteurRameurs Tricolores

Messieurs, êtes- vous prêts ?...Partez !


Plus de 30 ans que j' écris, parle, filme, commente, décortique, analyse le foot, plus de 30 ans que l'on me parle de foot, m'apostrophe au sujet du foot, me demande si le PSG sera demain et toujours en Ligue 1, si Benzema est supérieur au même âge à Platini ou Zidane, si les Bleus deviendront au mois de juin prochain à nouveau champions d'Europe, si Estelle Denis compte avoir un troisième enfant avec Raymond Domenech... Ce sont là, je le reconnais, des questions fondamentales, quasi existentielles devant lesquelles j'essaie le plus souvent de mettre un sourire accompagné d'une formule de politesse.Quand, parfois, o­n m'interroge sur mon passé de joueur de football, j'avoue mon embarras. J'étais nul ballon aux pieds, incompétent, indigent. J'aurais tant voulu, mais je n'ai jamais pus.

De fait, mon cher père, qui avait pour son fils de la compassion et l'envie qu'il se développe le corps et l'esprit grâce à l'activité physique, m'a poussé dans un bateau ; de ces frêles esquifs qui glissaient sous nos fenêtres, au bord de la Marne. SN Perreux, au milieu des années 60. Ca devait être le printemps. Grâce aux conseils avisés de l'entraîneur- président du club, Bernard Batillat, je me suis porté sur l'avant, et j'ai assuré mon premier coup d'aviron. Le bateau tanguait un peu. Bientôt, il filerait, et quatre, cinq années défileraient, merveilleuses, de régates en régates, de voyages en voyages, de copains en copains, à deux, à quatre ou à huit, avec ou sans barreur. « Messieurs, êtes- vous prêts ?...Partez ! »

Plus de 30 ans après, je n'en suis toujours pas revenu. Dans la tête, au fond de la mémoire, des images imprimées à jamais, des ampoules au creux des mains et accrochées au coeur, des cris de joie à l'instant d'une victoire, des envies de rendre l'âme au moment d'un bord à bord haletant, mais la volonté, toujours, quitte à en fermer les yeux, de continuer jusqu'à l'arrivée et d'entendre avec ravissement le coup de

, de sortir les pieds enserrés, de les plonger dans l'eau froide, et de reprendre son souffle et de jeter un oeil sur la berge où toute la famille était réunie.

Oui, car l'aviron, c'est d'abord une question de famille, un endroit clos, une oasis au sens littéral du terme : petite région fertile grâce à la présence d¹eau, dans un désert. Les rameurs, au contraire des footballeurs, n¹appartiennent qu'à eux- mêmes, étant vu qu'ils ne dérangent personne et surtout pas les représentants des médias qui les ignorent. Pourquoi ? C'est ainsi. Dans un monde du sport où le merchandising est poussé à outrance, où les états d¹âme des champions dits universels o­nt au moins autant d'impact dans l'opinion que leurs performances sur le terrain, où les télés se disputent à coups de milliards les droits de retransmission des grands événements, l'aviron se situe en marge, à la ligne d'eau numéro 7, celle où le courant est le moins fort, qui est bordée de silence et d'intimité mais encore d'amitié vraie et de toujours. C¹est l'aviron qui nous mène- nous mène- nous mène dit la chanson. Elle n'en finira jamais de résonner en moi.

Dominique GRIMAULT International junior 1966 et France B 1967

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