Merci à André Quoex pour nous avoir fait connaître cet article paru en 2010 dans le journal Le Messager, édition du Chablays, qui nous raconte la vie post-carrière de ce grand champion haut-savoyard Emile Clerc qui fut, entres autres titres, international au sein de nos équipes de France d'aviron de 1956 à 1964.
Après avoir participé à trois olympiades, Emile Clerc a passé quinze ans sur les mers du globe. Récit d'une aventure inattendue et extraordinaire.
Avant de prendre la mer à 47 ans, Emile Clerc avait déjà bien
vécu. « Je suis issu d'une famille de pêcheurs. Ma mère est fille, soeur, belle-soeur et épouse de pêcheurs. » La jeunesse d'Emile Clerc se partage donc entre le bateau de pêche, l'école où, « à part en géographie », il ne fait pas d'étincelles, et l'aviron qui lui donne ses premiers frissons de voyageur. Doué, Emile Clerc participe en effet à trois olympiades consécutives. « De 18 à 30 ans, je ne pensais qu'à l'aviron. J'ai fait sixième en 1956 à Melbourne ; en 1960 à Rome, je termine malheureusement quatrième, médaille en chocolat. Enfin, Tokyo en 1964, je fais dixième. »
Fièvre enfantine
Voilà déjà de quoi remplir plusieurs vies et Emile s'en serait peut-être contenté s'il n'avait contracté une fièvre enfantine qui ne le quittera jamais vraiment. « J'avais un voisin qui s'appelait Jacques Dauvet et il avait des livres de navigation, d'autres qui parlaient de pays lointains. On feuilletait tout ça, on discutait. Et puis c'était l'époque des premiers navigateurs. Quand j'y songe, je me dis que c'est ce qui m'a amené à partir. » En grandissant, Jacques Dauvet et Emile Clerc entreprennent ensemble d'aller au bout de leur rêve. Ils seront vite rejoints par d'autres. « Nous étions sept amis, tous Chablaisiens. Il y en avait de Veigy par exemple, et même de Morzine. Nous avions décidé de construire chacun notre bateau. Nous partagions les idées, les conseils. Chacun essayait de récupérer les matériaux où il pouvait. » Le soir, après sa journée de pêche, Emile passe des heures dans une remise transformée en chantier naval. Nous sommes en 1976, il a déjà 42 ans. « Je crois que j'ai dû y consacrer environ 6 000 heures de travail. Parfois, j'y passais toute la nuit. Mes parents ne voyaient pas cela d'un très bon oeil. Pour nous, les bateaux étaient d'abord faits pour travailler, pas pour aller se promener. Et puis, je passais tout de même pour le fou du village. »
Clochard de la mer
Finalement, en 1980, Emile Clerc met le " Méli-Mélo " à l'eau. C'est le départ qu'il est le seul du groupe des sept à prendre. Avec sa femme Michèle, qui partage son rêve, il remonte le Rhône jusqu'à Marseille. « Nous y sommes restés bloqués plus de huit mois. Je vous avouerai que j'ai failli abandonner mais nous avions déjà loué la maison. » Ce petit contre- temps évacué, Emile Clerc et son épouse vont alors vivre comme ils l'ont toujours espéré. « Chaque port a l'obligation de vous accueillir pour au moins trois jours pour refaire provision de vivres et d'eau, cela fait partie des lois maritimes. Il n'y a qu'en voyageant sur un bateau que vous profitez d'une telle liberté de déplacement. Mais pour vivre ainsi, il faut être un peu sauvage. Il m'est arrivé de passer 50 jours sans dire un mot. » Car Emile finira son voyage en solitaire, après que sa femme, frappée par la maladie, dut rentrer en France. « Je voulais rentrer mais mon épouse savait que j'étais dans mon élément, heureux. » Une liberté qu'Emile Clerc a aussi conquise grâce à son mode de vie particulière- ment sobre. « J'étais un clochard de la mer »,
annonce-t-il. « J'avais emmené un filet de pêche avec moi, et puis je faisais des petits travaux. Par exemple, lorsque j'étais à la Réunion, je ramassais les canettes vides. En 4 mois, j'en ai ramassé 25 000 à raison de 5 centimes pièces. Les Réunionnais étaient assez surpris de voir un "zoreille" faire ce travail. Je récupérais aussi les produits que jetaient les supermarchés : en 1994, en Guadeloupe, j'ai récupéré par exemple 430 plaques de chocolat. » Cette méthode, Emile l'appliquera à Cape Town, à Vancouver ou en- core à San Francisco. « Lorsque j'ai passé le Golden Gate, que j'ai vu ces belles marinas bien propres, je me suis dit demander com- ment j'allai faire pour vivre. Mais même là- bas, il y a un port pour les clochards. »
Un sage
Les voyages d'Emile Clerc ce sont aussi des rencontres étonnantes. « Sur l'île de Rhodes, un jour, nous sommes invités par un Anglais sur son bateau. Il s'est avéré que c'était l'amiral McLeod, qui commandait la ma- rine anglaise pendant la guerre. Il avait vu sa femme et son fils mourir sous ses yeux dans un accident d'avion et, depuis, il avait tout laissé pour prendre la mer. » Et puis il y a aussi ces trois semaines passées avec les Maoris sur une petite île de Polynésie. « C'est une population qui vit complètement à l'écart du monde. Vous vous demandez ce qu'est le bonheur ? Et bien dîtes-vous qu'ils n'ont pas de médecin, pas de biens manufacturés mais ils ne font rien de la journée, tout simplement parce qu'ils n'ont rien à faire. »
De retour en Chablais en 1995, il vit aujourd'hui en sage dans la petite maison de pêcheur de son enfance. A 76 ans, ce marin autodidacte passe ses journées à s'occuper de sa mère bientôt centenaire, se remémore ses voyages. Pas de télévision ni de radio dans la maison, pas de voiture devant la porte. « Je ne circule qu'en vélo », rigole Emile Clerc qui confesse avoir gardé de ses voyages quelques habitudes. « Le matin, je pars en vélo et je fais le tour de quelques supermarchés. Ils jettent des tas de produits qui pourraient être utiles à beaucoup de gens ; la dernière fois, j'ai ra- mené 47 kg de café », explique-t-il dans un très large sourire. Et Emile de confesser : « Le soir, pour m'endormir, je repense à mes voyages, je rêve à tel ou tel épisode. » De quoi écrire un livre. « Si je devais donner un titre, ce se- rait "la croisière ordurière" », conclut-il dans un grand rire.
Article signé Julien Berrier et publié en 2010 par Le Messager.
Nous remercions Le Messager pour nous avoir autorisé à publier cet article.
Emile Clerc, international de 1956 à 1964
1956 - Championnat d'Europe seniors 8+SH - 2ième
1956 - Jeux Olympiques 8+SH - éliminé
1958 - Championnat d'Europe seniors 1XSH - éliminé
1959 - Championnat d'Europe seniors 1XSH - éliminé
1960 - Jeux Olympiques 8+SH - 4ième
1961 - Championnat d'Europe seniors 8+SH - 3ième
1962 - Championnat du Monde seniors 4+SH - 2ième
1963 - Championnat d'Europe seniors 4+SH - éliminé
1964 - Jeux Olympiques 4-SH - 10ième
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