« Je vous parlerais d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître »
En ce temps-là, les bateaux étaient de bois, les leviers des avirons ne se réglaient pas encore, et l’empirisme présidait aux programmes d’entraînement. Les championnats du monde n’existaient pas et les finales des championnats d’Europe n’avaient que 5 lignes d’eau. Il faut noter que les championnats d’Europe accueillaient les USA, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Union soviétique. L’aviron international subissait la domination d’un entraîneur « prophète » Karl Adam de Ratzbourg.
La situation de l’aviron français, dans la fin des années 50, n’était pas brillante et elle se termina par « l’annus horribilis » de 1959, où les Championnats d’Europe se déroulaient à Mâcon et dont les résultats pour les équipes de France furent catastrophiques. Les équipes de France étaient constituées sur des bases de bateaux de clubs et les stages se limitaient à 2 à 3 semaines avant le championnat. L’objectif espéré des équipages français, à cette époque, était seulement d’entrer en finale.
Il faut dire que notre sport ne faisait pas exception et tous les sports français étaient en difficulté, à tel point qu’aux JO de Rome en 1960 la France reviendra avec seulement 5 médailles tous sports confondus (2 d’argent et 3 de bronze). En 2016, la France en a obtenu 42 !!
Devant cette situation le Général de Gaulle, lui même, déclencha un grand programme pour redresser le sport français. Le dessinateur Faizant afficha en première page du Figaro le dessin célèbre, résumant la situation en montrant le général De Gaulle, en survêtement, prêt pour conquérir les podiums. Le général De Gaulle fit appel à un Délégué Général du sport français, un militaire le Colonel Marceau Crespin. Il n’y avait pas de Ministre des sports, le premier fut Maurice Herzog mais seulement en 1963.
À la fin 1959, la FFSA, sous l’instigation de son Président Christian Querre, constitua la « triplette » Pierre Sauvestre, Jean Tarcher et Ernest Cherrier. C’est à partir de cette période que les équipes de France furent construites par des individualités, de clubs différents. Dès les Jeux de Rome, les effets se firent sentir puisque parmi les 2 médailles françaises d’argent figuraient Michel Jazy et notre quatre barré (Guy Nosbaum, Claude Martin, Robert Dumontois et Jacques Morel, barreur Klein). Le 8+ et le double scull Duhamel - Monnereau finissaient à la 4 ème place. En une seule saison, le redressement était engagé.
Devant ce succès, M. Crespin officialisa à la Direction de l’Equipe de France un homme à poigne : Pierre Sauvestre. Il le fit pour montrer aux autres sports français qu’avec un patron on pouvait se redresser rapidement. Pierre Sauvestre compléta sa triplette avec Jean Tarcher et Ernest Cherrier. L’objectif des équipages devint le podium. En 1962 lors des premiers Championnats du monde de l’histoire qui se déroulaient à Lucerne, l’aviron français se plaça au niveau de 3 ème nation au classement derrière l’Allemagne et l’URSS.
Médaille d’or Duhamel Monnereau
2 médailles d’argent le 4+ et 4-
Le 8+, médaille de bronze, encore, à ce jour le seul 8+ français qui soit monté sur le podium des Championnats du monde.
Le huit était constitué de rameurs de 6 clubs différents, le 4+ médaille d’argent l’était de 4 clubs et le 4- médaille d’argent de 2 clubs différents.
La triplette était construite de 3 personnalités très originales et très complémentaires. S’enrichir de ses différences est générateur de cohésion solide. Il y avait le patron, Pierre Sauvestre la force du verbe, Jean Tarcher la force tranquille et Ernest Cherrier la force par la programmation.
Pierre Sauvestre est issu du CN Vichy au sein duquel il conquit, en 1937, son premier titre de champion de France avec Alphonse Bouton en 2 +. Il poursuivit sa carrière de rameur à la SN Basse Seine, il obtint 13 titres de champion de France et il fut membre de l’équipe de France au sein du 8+ aux JO de Londres en 1948. Il prolongea sa passion pour l’aviron, en devenant l’entraîneur de la SNBS et il fit, de ce club, la référence du 8+. Ce fut la cause pour laquelle on lui confia la Direction de l’Equipe de France. Il était bénévole, car il était professionnellement représentant en produits de beauté féminins dans toute la France. Lors des stages préparatoires aux grands championnats qui se déroulaient à la SN Marne, on attendait l’arrivée de Pierre, qui, à bord de sa voiture grand sport, sillonnait la France, mais il faisait en sorte d’être à l’heure le soir, pour assumer sa mission d’entraîneur. Les contrôles radar n’existaient pas encore sur le réseau routier. Au-delà de sa superbe carrière au sein de notre sport, c’est le personnage qu’il faut admirer. Il faut avoir assisté à l’ultime séance de motivation d’une équipe juste avant la montée en bateau pour se rendre au départ. Pierre, souvent cigare à la bouche, se lançait dans des invectives qui ouvraient la porte à toutes les possibilités. Le trac et les inquiétudes de chacun se transformaient en une envie irrésistible de vaincre.
Jean Tarcher : la force tranquille, il avait une très belle carrière sportive au CN Paris et avait été membre du 8+ français vainqueur aux Championnats d’Europe de 1931 qui se tenaient sur la Seine à Courbevoie. C’était le technicien du coup d’aviron, il pouvait suivre une équipe pendant de longues sorties et sans jamais s’exprimer. Par contre au retour, dans le vestiaire, il faisait un compte-rendu technique remarquable, en dégageant tous les coups d’aviron mal appliqués. Il avait un sens inné de la constitution des équipages. Ces qualités, sur sa fin de carrière, il les mis au profit de l’aviron espagnol à Bañolas, période au cours de laquelle l’équipe d’Espagne a brillé sur les bassins internationaux.
Ernest Cherrier : la force de la programmation, il n’a jamais ramé, il était enseignant de culture physique. Il s’est intéressé à l’aviron avec Nosbaum Martin qu’il mena au plus haut niveau. Il était particulièrement efficace pour mettre au point des programmes d’entraînement, et il faut reconnaître que, pour l’époque, il réussissait à amener ses équipages au meilleur niveau le jour J. Il conservait des datas sur tous les rameurs, ayant un potentiel. Le personnage était cocasse, tenue vestimentaire rustique, casquette et short, un vélo qui n’avait jamais du être neuf et un organe vocal d’une puissance telle qu’il pouvait couvrir tout un bassin de course d’aviron.
En fait si on considère les caractéristiques de ces 3 personnages, on pourrait en faire la définition d’un coach idéal. Le miracle se trouve dans le fonctionnement de cette triplette constituée de 3 forts egos qui se sont soumis au collectif. Ils concrétisaient l’oxymore suivant « l’ego collectif ».
L'aviron français d'après la guerre jusqu'à la fin du 20ième siècle connut 3 « grandes périodes » qui ont toutes pour point commun la présence d'un patron à la tête des équipes de France : - M. Jean Cottez :1952 Jeux Olympiques d’Helsinski (une en or, Salles Mercier barreur B Malivoire) une en argent (Pierre Blondiaux, Jacques Guissart, Marc Bouissou, Roger Gautier). - M. Pierre Sauvestre et sa triplette : 1962 Championnats du monde à Lucerne (4 médailles). - M. Eberhard Mund :1993 Championnats du monde à Roudnice en Tchéquie (3 médailles d’or en moins de 2 heures dont le 2- féminin Hélène Cortin et Christine Gossé, première médaille d’or mondiale féminine pour l'aviron français. M. Mund permit l’éclosion d’une période fructueuse pour les équipes de France, affirmée jusqu’aux JO de Sydney de l’an 2000 (2 médailles d’or : Jean-Christophe Rolland Michel Andrieux en 2- et le 4- poids légers Laurent Porchier, Jean-Christophe Bette, Yves Hocdé et Xavier Dorfman et une médaille de bronze pour le 2XPL Pascal Touron et Frédéric Dufour).
La triplette de Pierre Sauvestre a permis à l’aviron français d’entrer dans le concert de l’aviron international moderne et il faut reconnaître la qualité des athlètes de cette période.
Les feux du 20ème siècle se sont éteints et une nouvelle ère ouvrait le 21ème siècle, mais la règle qui restera, immuable, pour notre sport collectif constitué d’individualités, sera : « Au chef il faut des hommes et aux hommes il faut un chef ».
Daniel Forget
Photos : Dessin Michel FaizantErnest Cherrier, Georges Demaison (FFSA, Jean Tarcher et Pierre Sauvestre)
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