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Photo du rédacteurRameurs Tricolores

Bienvenue à bord du HUIT, bateau roi de l'aviron


Emmanuel Bunoz, ancien barreur international quinze fois champion de France, a repris du service le temps d'une sortie pour nous faire découvrir de l’intérieur le plus rapide, le plus long et le plus complexe des bateaux avant les Championnats du monde d’aviron 2011 en Slovénie.

30 JUILLET, LAC DE VOUGLANS (JURA). LONG DE 18 MÈTRES, LE HUIT EST EMMENÉ PAR HUIT RAMEURS ET UN BARREUR (ICI EMMANUEL BUNOZ). IL PEUT ATTEINDRE LA TONNE ET FILER JUSQU’À 23 KM/H.

Cette magnifique sortie dans le 8 national est parue dans l'Equipe Magazine n° 1519 du 27 août 2011 (lire l'article ici)


CAP SUR LONDRES

Relancé cette saison, le projet d’un huit tricolore, seulement présent aux JO en 1984 et 2004 (6e), s’annonce délicat, surtout sans les meilleurs rameurs, qui défendront notamment leur titre mondial en quatre sans barreur ou viseront le podium en deux de couple. La course aux quotas olympiques est périlleuse. Il faudra terminer dans les sept premiers aux Mondiaux de Bled, en Slovénie (du 28 août au 4 septembre), ou alors décrocher le dernier sésame au printemps 2012, lors d’une régate de qualification.

SENSATIONS

« Toujours les encourager. Ne rien lâcher. Je rabâche. Je les laisse aussi tranquilles quelques coups pour qu’ils écoutent leur bateau filer. J’en profite aussi pour savourer. Ça dépote ! » 

RIEN DE MIEUX qu’un petit footing pour commencer la journée. Il est 6 h 30 et le Jura voit encore une fois s’ébrouer un joli troupeau de rameurs. Encore dans le brouillard. Une bonne demi-heure de réveil musculaire. Rien d’extraordinaire.

Même pour les 33 ans d’Adrien Hardy, champion olympique 2004 du deux de couple et anonyme au coeur de la bande. Sur les hauteurs de la base de Bellecin, où j’ai passé huit mois en stage dans mon ancienne vie d’international, des années juniors à une finale olympique, à Barcelone, en 1992 (6e), je me souviens de chaque moment de ce rituel matinal.

Chacun son rythme avant de passer en mode collectif. Rendez-vous à 10 heures en contrebas, dans le parc à bateaux, où le huit trône au milieu des autres embarcations, attirant les regards, attisant les envies. C’est le bateau roi. Le plus rapide, le plus long (18 m), le plus lourd (1 tonne avec les hommes). Le plus complexe aussi.

Tout rameur rêve de s’y asseoir. Le temps d’un entraînement, Benjamin Manceau, champion d’Europe en 2008 à la barre du huit, m’a laissé les clés.

C’est donc sous mes ordres que les gars soulèvent le bateau avec ménagement. Direction le ponton.

L’immense lac de Vouglans n’a pas changé.

Neuvième élément faisant face à l’équipage, j’installe la sono et le micro qui vont me permettre de prêcher la bonne parole. Le dernier rameur, Mathieu, le numéro 8, à la poupe, est placé à 10 mètres de moi et doit pouvoir m’entendre comme tous les autres.

Je prends en main les fils qui me permettent d’actionner la barre, prêt à diriger le bateau, qui ne file pas droit de manière naturelle, suivant le vent et les pressions des rameurs.

Dès que les pelles entrent dans l’eau, l’impression de puissance est saisissante.« Vite, mais pas fort. »Je vais marteler ce message.

Il faut gagner en précision, en cohésion, ne banaliser aucun coup d’aviron, alors que les gars vont en donner à peu près 20 000 d’ici aux Mondiaux. En voyant les pelles devant moi, trop hautes sur l’eau, trop ou pas assez rapides dans l’exécution, je me dis qu’il faut corriger chaque défaut au plus vite. Tous m’écoutent : les quatre Verdunois (Lolo Cadot, Benj Rondeau, Jonathan Mathis et Mat Moineaux), que je connais par coeur pour les avoir accompagnés dans nos dix titres nationaux consécutifs en huit, notre territoire; les autres, adversaires aux Championnats de France, me connaissent de réputation et me font vite confiance. Personne ne me considère comme un passager clandestin… même si je pèse désormais un peu plus que les 55 kg requis

Les consignes techniques se suivent. Collectives : « Libérer le bateau », « Le reprendre dans la vitesse », « Vite et loin ». Individuelles : « Ben, ne te précipite pas », « Jon, pas trop fort », « Seb, termine bien ton geste ». Sur son canot à moteur, sur le côté, Yannick Schulte, l’entraîneur et ancien finaliste mondial en huit, distille aussi ses conseils. Les rameurs ont la stéréo. Le message est complémentaire. Quand je ne vois que les pelles, lui observe les positions des corps et des mains. Un regard complice suffit entre nous. J’ai été son barreur avant qu’il devienne mon coach, à Verdun. Il faut maintenant passer la vitesse supérieure.

Ce matin, c’est B2. Une séance à cadence imposée (20 coups par minute, contre 38 en course) de deux fois vingt-cinq minutes, avec investissement quasi maxi. Ça ne rigole pas. Il faut longer la berge, passer devant une chapelle cachée et mettre cap sur la falaise, avant le barrage. Barrer, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. Pousser les gars, c’est aussi naturel. La bête se met en route.

Ma montre GPS me permet de leur donner une vitesse instantanée (17 km/h contre 23 km/h en course) et le temps parcouru sur chaque 500 m. Mais je reste un peu old school : j’indique la cadence et je parle plutôt de mes sensations. Le bateau gîte un peu sur bâbord. Vite, trouver le bon mot pour rectifier juste en modifiant les hauteurs dans le geste de chacun. Face à moi, Lolo Cadot, le chef de nage, ne fait pas semblant pour imprimer le bon rythme. Derrière lui, je devine les quatre gros du milieu faisant office de moteur. Aux extrémités, les gars sont plus techniques, plus agiles, pas moins engagés. J’y vais de mon message perso à chacun des gaillards. Un petit nom et un petit conseil.

Toujours bien à dire et sympa à entendre. Je suis à fond dedans. J’oublie la raison de ma présence, ce reportage, pour remplir ma mission. Barreur un jour…

Une petite pause. Quelques petits mots qui se mélangent aux respirations saccadées des costauds, les muscles pourris par l’acide lactique. Rester lucide lorsque la souffrance des rameurs est insoutenable. C’est ce qui fait la différence dans cette caste des barreurs, en voie de disparition.

Il faut désormais rentrer, retourner dans ce monde du silence dans lequel je n’arrête pas de parler. Cette fois avec du vent très défavorable et quelques vagues. La sensation de vitesse est encore plus prégnante. Toujours les encourager. Ne rien lâcher. Je rabâche. Je les laisse aussi tranquilles quelques coups pour qu’ils écoutent leur bateau filer. J’en profite aussi pour savourer. Je vais encore me régaler, sur la fin, avec une petite accélération en mode course. Sans aucun à-coup. À 40 coups d’aviron par minute. Ça dépote !

Dernière manœuvre pour accoster au ponton en douceur. Je sais toujours faire. En retrouvant la terre ferme, après une heure trente et 20 km sur l’eau vert foncé, les gars me remercient. C’est un peu le monde à l’envers. Je repartirais bien pour un tour…

EMMANUEL BUNOZ

41 ans, a été :

 - International de 1985 à 1993.

 - 3e aux Mondiaux juniors en 1987 (quatre barré),

 - 6e aux JO en 1992 (deux barré),

 - Il a été 15 fois champion de France seniors avec le CN Verdun, ont 10 fois de suite en huit (2001 à 2010).


Il est aujourd’hui journaliste au Dauphiné libéré et à Ski chrono.

 

Lire l'article de L'Equipe Magazine


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