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Antoine Jesel, un chemin de vie peu commun...

Dernière mise à jour : 25 avr. 2019


Antoine Jesel (Aviron de Joinville) médaillé de bronze aux mondiaux d'Amsterdam 2014 a été récompensé du Trophée des Espoirs récemment lors de la 11ième cérémonie des Trophées par l'Association des Anciens de l'INS. Son parcours de vie lui a valu ce très bel article "Un chemin de vie peu commun" dans le dernier Mag Aviron (numéro 18) que nous remercions vivement pour nous avoir autorisé à publier cet article.

ANTOINE JESEL 

Médaillé d'argent en double LTA (jambes, tronc, bras) à Amsterdam cet été, Antoine Jesel aurait pu ne pas rebondir dans le monde de l'aviron. Mais le courage et la persévérance ont été les maîtres mots de son parcours. Un chemin de vie peu commun qu'il nous a raconté. Si Antoine Jesel a fait ses premières armes sur l'eau, c'est à la voile qu'il a commencé, à Beaucaire. "J'étais tout jeune sur mon Optimist, se souvient-il, un jour Adrien Hardy m'a percuté en skiff. Je me suis dit que ça devait être sympa ce sport où on peut percuter les autres".

Il s'essaie alors à l'aviron et a tout de suite accroché. De Beaucaire, il part en deuxième année cadet à Avignon. "J'habitais dans un petit village et c'était plus pratique pour moi, même si je devais prendre train, bus, vélo et rollers pour aller au club, et Marc (Boudoux, NDLR) me faisait traverser en canot moteur pour aller sur l'île de la Barthelasse. Ça me fait rire d'entendre les parents se plaindre que leurs enfants sont trop souvent à l'aviron, j'y allais par tous les moyens". En dernière année junior, il finit champion de France en quatre de couple et décroche une médaille de bronze, toujours en quatre de couple, à la coupe de la jeunesse à Cork en Irlande ; comme quoi, la motivation pour aller ramer paye.

Professionnellement, c'est l'audiovisuel qui l'attire : intermittent du spectacle, il devient second assistant réalisateur. En 2004, alors âgé de 23 ans, la vie d'Antoine Jesel bascule. Rentrant de tournage en République Tchèque, alors qu'il vient tout juste de récupérer sa moto et qu'il traverse un carrefour, un conducteur anglais au volant d'une voiture de location s'engage sans raison, lui coupe la priorité ; il tente de l'éviter mais est éjecté à quinze mètres, sur le trottoir. Conscient, il se voit alors assis, la jambe en sang, mais sombre dans le coma. Quinze heures de chirurgie en urgence sont nécessaires pour tenter de sauver sa jambe. Pendant six mois, il reste allongé sur un lit d'hôpital sans pouvoir en sortir, la jambe immobilisée. "J'avais l'impression d'être un poisson dans un bocal, la vie continuait dehors sans moi".

Après vingt trois opérations, de multiples greffes d'os et de peau, un an de rééducation en fauteuil dans un centre, il finit par remarcher, mais cela lui aura pris deux ans. Le courage, c'est son expérience sportive qui lui a apporté. "Je l'ai pris comme une échéance, l'esprit de compétition m'a aidé à me reconstruire physiquement". Antoine n'avait qu'une idée : remonter en bateau.

C'est à l'Aviron Marne et Joinville qu'il le fait finalement en 2005, non sans mal : son genou est bloqué et l'empêche de plier la jambe, une opération va lui permettre de le libérer. Un autre problème est sa cheville qui elle aussi est bloquée. Ne pouvant rien y faire médicalement, c'est sur sa planche de pied qu'il va travailler. "J'ai apprécié le système Shimano quand il est sorti, note Antoine, mais j'ai dû l'adapter". Reprenant la compétition en 2008, Charles Delval, alors dans le collectif paralympique, entend parler de lui et de son accident. "On se connaissait comme adversaires, commente Antoine, il me propose alors de rentrer dans le projet. Il m'a remis le pied à l'étrier et m'a beaucoup aidé". Sélectionné aux bateaux courts, il entre en équipe de France. Les Jeux paralympiques se profilent, à Londres ! L'Angleterre, un souvenir prégnant :

"C'était une évidence, un Anglais m'avait renversé. Je voulais me reconstruire mais dans la colère, il me manquait une brique. Je voulais comprendre ce qui s'était passé, ce jour-là, savoir pourquoi il avait démarré dans ce carrefour : au tribunal, il n'était pas venu alors que j'avais fait le déplacement contre l'avis de mes médecins. Sa peine avait été légère, car on ne connaissait pas l'étendue des séquelles dont j'allais souffrir".

Antoine fouille dans le dossier de son accident, retrouve ses coordonnées et tente de le joindre, mais sans laisser de messages. L'échéance sportive arrive : il se décide finalement à envoyer au chauffard britannique des billets pour les épreuves d'aviron aux Jeux. "Je lui ai écrit un mot à l'arrière d'une carte postale du quatre barré, je me suis fléché sur la photo, c'était une revanche pacifique". A Londres, Antoine y repense, mais il veut vivre son expérience paralympique à fond. Ce n'est qu'à la fin des courses que l'un des bénévoles qui accompagne l'équipage lui demande s'il est bien le rameur dont on parle sur Twitter. "Je prends mon téléphone et là je vois les posts, le blog que l'Anglais avait écrits, la photo qu'il a prise depuis la tribune : il était venu voir la course. C'était une émotion énorme, mais c'était aussi un de mes buts". Les Jeux touchent à leur fin, Antoine hésite mais finit par le contacter : les deux hommes se donnent un rendez-vous dans un pub à Londres.

"Je ne savais pas comment ça allait se passer, la rencontre a été forte. Ce n'était pas le chauffard que j'imaginais, mais un père de famille, amateur de musique, quelqu'un de normal et il s'est expliqué : il a paniqué de se retrouver face à un sens unique, avec des commandes inversées par rapport à ses habitudes. Quand les gendarmes l'ont trouvé, il essayait de revenir mais il était pris dans le flot de la circulation. Il sentait bien lui aussi que cette histoire n'était pas finie, mais il se sentait coupable qu'il pensait inapproprié de revenir vers moi. Je l'ai trouvé sincère. Les larmes sont montées, et on a bu des bières !"

Assumant ses actes, il propose à Antoine de publier les deux visions de leur histoire, scellant ainsi le pardon de l'athlète français à son égard. Après s'être reconstruit physiquement, Antoine Jesel a ainsi pu se reconstruire moralement.

"Tout avait pris un sens, j'avais comblé un vide mais j'ai mis du temps à m'en remettre. C'était une victoire, pas forcément sur un podium, et ça m'a permis de réaliser qu'il me restait encore de la colère et de pouvoir passer à autre chose".

L'histoire d'Antoine, au-delà de l'émotion qui ne peut laisser personne indifférent, est une formidable leçon de persévérance, un exemple de combat mais aussi une belle leçon de vie : "J'ai compris qu'un accident pouvait arriver à n'importe qui, à n'importe quel moment, et qu'il est difficile de vivre avec les conséquences que l'on soit victime ou responsable. Qui peut dire entre autres qu'il n'a jamais grillé une priorité ? Je ne peux plus tout faire comme avant, mais il y a toujours une solution pour s'adapter. Cette adaptation n'est pas un choix, mais une nécessité que l'on m'a imposée, c'est ce qui est parfois difficile à accepter. Mais ce n'est pas insurmontable si on est bien entouré, et de ce point de vue là, j'ai beaucoup de chance !"

La médaille de bronze à Amsterdam, en août 2014, est arrivée comme une concrétisation des efforts, après des Jeux un peu ternes sportivement. "Je laisse tous mes mauvais souvenirs derrière moi". Le rameur se prépare bien entendu pour Rio et espère une sélection, mais c'est une échéance bien différente qui l'attend sous peu : la paternité ! Il va maintenant devoir jongler entre son travail de monteur, toujours dans l'audiovisuel, sa carrière sportive à l'aviron et son rôle de papa.

Fabrice Petit


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