Ce 4 septembre 1993 à Roudnice (Tch) où tout a changé pour l'équipe de France d'aviron. C'était il y a 30 ans.
3 médailles d'or, 3 quatrièmes places et 1 cinquième place en finale A, rien que cela...
Extrait du livre "Génération Mund" à paraître prochainement, livre édité par l'Association des Internationaux d'Aviron, auteurs Charles Imbert et Patrick Bosdeveix.
Le samedi 4 septembre, le journal l’Équipe, sous la plume de Marc Ventouillac, affiche un optimisme raisonnable et se risque même au concours de pronostics : « Les rameurs français doivent normalement mettre fin, ce week-end, à douze ans sans médaille en élite. Ce succès, s’il se confirme, sera tout le contraire d’une surprise, plutôt le résultat d’une régulière montée en puissance... Des rameurs qui en veulent, qui ont les moyens physiques, tactiques et techniques de monter sur le ponton d’honneur, tel est le portrait de l’équipe de France 1993. On ne voit pas comment elle pourrait ne pas réussir. »
Marc Ventouillac pronostique :
« 1er à 4ème pour le double, 1er à 5ème pour le deux avec barreur, 1er ou 2ème pour le quatre sans barreur, 3ème à 6ème pour le quatre de couple, 3ème à 6ème également pour le quatre de couple poids léger ainsi que le quatre de couple femmes. Enfin 1ères pour Hélène Cortin et Christine Gossé en deux sans barreur, que la presse n’imagine pas perdre et voit comme « la plus belle des chances françaises dans les finales ».
Le 4 septembre à 15 h 20, le quatre sans barreur ouvre la voie. L’équipage est conscient que si le déclic arrive, tout peut suivre. Ils doivent également surmonter leur rôle de favori. « Après un départ canon des canadiens et surtout des Polonais qui possèdent plus d’une longueur d’avance sur leurs poursuivants jusqu’au 1 500 mètres. Les Français accélèrent à ce moment et, à une cadence de 42 coups par minute, les passent à environ 250 mètres du but.»
Ce fut une course tactique dira Philippe Lot : «Nous étions un peu crispés dans les 500 premiers mètres, puis tout est rentré dans l’ordre, car on croyait à l’or. »
À 16 h 10, le double qui a eu connaissance de la victoire du quatre sans, monte au départ galvanisé. Il réussit un bon départ et reste aux aguets. Aux 1 000 mètres, Yvon lance à Samy « Je suis bien ». Comme souvent, les Norvégiens, après une première partie d’attente attaquent aux 1 250 mètres. Les Français suivent et les passent à 250 mètres de l’arrivée.
Samuel Barathay et Yves Lamarque n’étaient pas favoris, mais ils ont scellé leur victoire avec l’assurance des plus grands en battant les Norvégiens sur leur point fort.
C’est au tour de «nos filles» de s’élancer à 16 h 35 précises. Pas facile de passer derrière les deux bateaux des garçons. Christine relaie le message de Jean-Raymond Peltier, leur entraîneur. « Surtout les filles, pas de faute ! ». Hélène et Christine mènent la course à leur guise. Sur chaque série de 30 coups, elles prennent deux bons mètres à leurs adversaires. Elles deviennent intouchables aux 1 500 mètres et finissent sans jamais avoir été réellement menacées, même si les Australiennes tentent un retour.
Quatre autres finalistes, complètent ce somptueux bilan. Ces performances de valeur qui auraient comblé d’aise la fédération il y a peu, méritent d’être relevées.
La 4ème place à 66 centièmes de la médaille du deux barré est à placer au chapitre des grands regrets. Jean-Paul Vergnes, Yannick Schulte et Jean-Pierre Huguet-Balent ont fait une saison exemplaire dans un bateau à la mort programmée mais qui pour l’heure garde toute sa crédibilité. En dépit de la fin de course la plus rapide, ils ne purent revenir sur les trois premiers. Vraiment dommage, ils méritaient bien ce podium.
Le quatre de couple poids léger Gaillac, Maïore, Béroud et Renault laisse échapper le bronze pour 2’’89. Encore 3ème aux 1 000 mètres, ils ne peuvent se mêler à la lutte que se livrent Autrichiens, Italiens et Allemands.
Le quatre de couple féminin restera au pied du podium mais réalise une performance très honorable avec les jeunes Anne Tollard, Véronique Lyonnaz-Perroux, Marie-Pierre Lafitte, emmenées par Isabelle Danjou.
Le quatre de couple Fabrice Leclerc, Frédéric Kowal, Ikhlef Ben-Okba, Luc Cattaneo, qui se place 5ème laissera une bonne impression et participe au bon bilan de la couple, où la France et l’Allemagne ont été seules capables de placer un double et un quatre en finale.
Les titres et commentaires de presse du lundi 7 septembre, sont à la hauteur de l’événement.
Le quotidien « L’Équipe » réserve trois pages, dont la « Une » à l’événement et titre : « Triple ban pour l’aviron ». Marc Ventouillac ajoute : « Les rameurs français ont ramassé de l’or à la pelle aux Championnats du Monde à Roudnice. Trois titres avec le quatre sans barreur, le deux de couple et le deux sans barreuse. Du jamais vu ! »
Le nom du lieu de la plus fameuse bataille de Napoléon est même prononcé.
« Un samedi à Austerlitz : Tout près du célèbre champ de bataille, l’aviron français s’est refait une place au soleil. Trois titres après 31 ans d’attente » écrit Jean François Renault : « Il est 16 h 41 et l’aviron français, vient de vivre son heure éblouissante avec ces trois titres consécutifs. Un en pointe, un en couple, un en femmes. Voici une embellie comme le sport français peut en secréter quand il sait se placer sur de bons rails. L’aviron discipline éminemment athlétique, cherchait une vitrine. Il la possède désormais, se plaçant parmi les premiers sports olympiques français. »
La presse étrangère ne manque pas de saluer la spectaculaire moisson des français. Les Allemands, martiaux, titrent : « Le jour de gloire est arrivé. » Les Italiens plus bibliques, écrivent : « Le coq chanta trois fois. »
Tous ces titres et commentaires donnent un reflet assez exact de l’ambiance et de l’euphorie qui règnent au sein de l’équipe de France.
Le retentissement est national et va bien au-delà du cercle des initiés. Le journal de 20 heures de Claire Chazal sur TF1 ouvre sur le triple exploit mondial des rameurs français à Roudnice. Au-delà de l’impact médiatique et de la notoriété apportée par cet évènement, il est une éclatante démonstration de l’efficacité de la méthodologie d’entraînement.
Les légendes vivantes du double français René Duhamel et Bernard Monnereau sont interviewées. Le premier encore en activité à la S.N. Avignon, est « heureux de voir ce résultat avant son départ à la retraite. J’étais convaincu que ça marcherait bien dans ces championnats, surtout pour les [coupleux] que je suivais sentimentalement. C’est extraordinaire, et si la réussite paraît logique, il faut voir tout le travail qu’il y a derrière. » Pour Bernard Monnereau, ce résultat n’est que la logique de ce qu’il observe depuis quelques années : « Aux hommes, il fallait un chef, au chef il fallait des hommes. L’aviron a rajeuni, toute une équipe s’est mise au travail. Il y a un vrai réservoir et des champions reconnus. En octobre, à Vichy, c’est là, quand ils vont ramer avec leur club que la motivation va passer chez les jeunes. C’est de l’aviron tout neuf : il faut profiter de cette aubaine ! » 31 ans après, la page « Lucerne 62 » est vraiment entrée dans le passé.
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Pour Denis Masseglia, ces résultats vont « au-delà du rêve » : « Les superlatifs n’ont pas manqué pour illustrer le bilan d’ensemble des bateaux français à Roudnice, leurs sept places de finalistes et leurs trois titres mondiaux... »
« C’est fou, ça a même été un peu trop vite. Qui aurait pu croire raisonnablement à un tel exploit. Il y a de cela tout juste deux ans et neuf mois, quand a été restructuré l’encadrement technique national ? » « Ce succès est à mettre au crédit d’une équipe de France sûre d’elle, qui dégagea tout au long de l’année une impression indestructible de sérénité et à laquelle rien de fâcheux ne semblait pouvoir arriver. »
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Eberhard Mund, qui a suivi le déroulement des compétitions, seul, dans un coin de la tribune du public, est plus réservé dans sa première analyse. Plus sobre dans son commentaire, il pense déjà à la suite : « Je suis satisfait du comportement du groupe France, il est même un peu trop beau. Je ne m’attendais pas à de tels résultats. Maintenant, il ne faut pas dormir sur nos lauriers mais nous occuper de la nouvelle génération, analyser nos résultats et voir où en sont nos réserves pour confirmer nos performances. Il faut surtout aussi que nos rameurs et que nos entraîneurs gardent les pieds sur terre. ».
« Cependant, rien ne changera pour l’avenir. Les athlètes ont tous rendez-vous à Cazaubon pour les championnats de France bateaux courts au début de l’année prochaine où tout sera remis en cause car même avec des titres rien n’est acquis en ce qui concerne la composition des bateaux France pour la saison à venir. »
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A noter que le 7 décembre prochain, l'équipe de France 1993 et ses médaillés mondiaux seront honorés par la FISF et verront leurs noms s'ajouter à la longue liste des très grands champions français parmi les Gloires du Sport Français dans la catégorie "Équipe".
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